By Sandra on jeudi 6 février 2020
Category: TRAVAIL PARLEMENTAIRE

Débat sur le thème : « L’organisation d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris est-elle une exigence démocratique ?

M. le président. La parole est à M. Olivier Léonhardt.

M. Olivier Léonhardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la privatisation d'Aéroports de Paris est assurément un des grands points d'achoppement de ce quinquennat. Annoncé en 2018 et inscrit dans la loi Pacte, adoptée l'an dernier, le processus est depuis lors mis entre parenthèses par le déclenchement, pour la première fois, de la procédure référendaire dite « d'initiative partagée », après le dépôt au mois d'avril 2019 d'une proposition de loi signée par plus d'un cinquième des parlementaires, dont votre serviteur.

Les privatisations ou ouvertures de capital d'entreprises publiques en France ne datent pas d'hier. Commencées en 1986 sous la première cohabitation, elles ont été poursuivies depuis par presque tous les gouvernements, sauf pendant la crise financière des années 2008-2009, où la chute des valeurs boursières les avait rendues peu rentables.

Parmi des privatisations restées emblématiques, on peut rappeler celles de TF1, de grandes banques, de Total et d'Usinor-Sacilor dans les années 1980 et au début des années 1990, l'ouverture du capital de Renault en 1996 et de France Télécom à partir de 1997, déjà de certaines compagnies d'autoroutes, d'EDF-GDF à partir de 2005 et, plus récemment, la baisse des participations de l'État au groupe Safran.

L'ouverture du capital d'ADP a, quant à elle, débuté sous le gouvernement Villepin. Dans les années 2010, ce sont les grands aéroports régionaux qui ont connu à leur tour une vague de privatisations : l'aéroport de Toulouse, dans les conditions que l'on sait, et ceux de Lyon et de Nice.

L'entreprise ADP n'est pas une société anodine. Créée à la Libération, elle a accompagné la formidable modernisation de l'économie française pendant les Trente Glorieuses, avec l'ouverture d'Orly en 1961, puis de Roissy en 1974. C'est aujourd'hui le premier groupe de gestion aéroportuaire au monde en nombre de passagers, avec un chiffre d'affaires de 4,5 milliards d'euros et un résultat net positif de 600 millions d'euros en 2018. Sa filiale à l'international gère vingt-quatre aéroports répartis dans treize pays différents, dont l'Algérie et la Turquie.

Le chapitre de la loi Pacte consacré aux privatisations semble faire peu de cas de cette histoire et de cette situation exceptionnelle, en traitant pêle-mêle de sujets aussi divers qu'ADP, la Française des jeux ou Engie. Sans mépris aucun pour ces dernières entreprises, on doit pourtant bien reconnaître que les enjeux d'ADP dépassent très largement ceux des jeux de loterie ou de la prévention. Il s'agit pour l'État français d'une question stratégique et patrimoniale. D'une certaine manière, ce qui se joue ici, c'est l'identité économique de la France.

Le préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie de nos textes fondamentaux au même titre que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dispose : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » C'est bien le cas d'Aéroports de Paris, qui joue de plus le rôle stratégique de principale porte d'entrée sur le territoire national.

L'an dernier, lors de l'examen de la loi Pacte, le Sénat avait majoritairement rejeté les articles de privatisation, à l'occasion d'une rare alliance entre la droite et la gauche de cet hémicycle. Le groupe du RDSE avait très majoritairement approuvé ces suppressions. Aujourd'hui, les Français restent aussi majoritairement opposés à une telle mesure.

Comment dès lors expliquer les difficultés pour réunir le nombre nécessaire de signatures pour soumettre à référendum l'objet de la proposition de loi ?

À l'évidence, les conditions prévues par l'article 11 de la Constitution apparaissent trop restrictives : un dixième du corps électoral, soit 4,7 millions de citoyens, cela équivaut à un score d'environ 20 % aux dernières élections, score que certaines formations ont d'ailleurs eu du mal à atteindre. À titre de comparaison, les pays qui ont réellement mis en pratique ce mode de consultation ont retenu des seuils bien plus bas. L'exemple suisse est bien connu : les référendums à l'échelle fédérale nécessitent la signature de 100 000 citoyens, soit moins de 3 % du corps électoral. En Italie, le seuil est fixé à 500 000 électeurs, bien en dessous des 4,7 millions nécessaires chez nous, pour une population équivalente.

Beaucoup d'interrogations demeurent à propos de ce dossier. Par exemple, la difficulté à trouver des informations précises sur le Fonds pour l'industrie et l'innovation, que ces cessions de participations sont censées financer. Par ailleurs, si je ne nie pas l'intérêt des projets annoncés, ceux-ci masquent encore mal l'absence d'une réelle politique industrielle en France et a fortiori en Europe.

Enfin, le risque de hausse des redevances aéroportuaires, comme dans le cas des concessions d'autoroutes, et les conditions d'indemnisation des futurs actionnaires dans l'éventualité d'une fin de concession anticipée continuent de susciter de réelles interrogations, en particulier sur les conséquences sur le budget de l'État et pour d'autres acteurs, comme les compagnies aériennes, ainsi que sur le risque de suppression des petites lignes Paris-province non rentables.

C'est pourquoi, pour répondre à la question peut-être un peu rhétorique de mes collègues du groupe CRCE, l'organisation d'un référendum sur la privatisation d'Aéroports de Paris continue à mes yeux d'être une exigence démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)