By Sandra on jeudi 17 février 2022
Category: TRAVAIL PARLEMENTAIRE

Projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’écrivait Corneille : « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. » À n’en point douter, cela ne s’applique pas à la réforme territoriale issue des lois Maptam (loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles), NOTRe (loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République) et de la fusion des régions.

Cette semaine marque la fin d’une consultation citoyenne organisée par la Communauté européenne d’Alsace portant sur la question de son maintien au sein de la région Grand Est. Voilà les effets d’un découpage régional dont personne ne voulait.

M. André Reichardt. C’est sûr !

M. Jean-Claude Requier. Oui à la différenciation, non aux entorses à l’indivisibilité de la République et à l’égalité de nos concitoyens devant la loi ! Des garde-fous identiques doivent être instaurés pour tous les territoires.

Le groupe du RDSE, qui avait d’ailleurs voté contre la création de la CEA, fait siennes les craintes exprimées dans les départements limitrophes quant à la mise en place de la taxe poids lourds, dont les modalités d’application sont définies par le présent projet de loi, largement amélioré par le Sénat.

Le territoire de la CEA n’est pas le périmètre le plus pertinent pour la mise en œuvre de cette taxe qui, à défaut d’être instituée au niveau national afin de permettre un financement territorialement équitable de l’ensemble des infrastructures de transport, devrait être instaurée au niveau régional, comme le permettra ultérieurement l’article 137 de la loi Climat et résilience votée en juillet dernier.

Ce texte ouvre la voie à un pouvoir fiscal des collectivités territoriales à géométrie variable, ce que nous ne pouvons pas approuver.

Nous comprenons l’impatience de nos collègues alsaciens. La situation de l’Alsace est particulière, puisque cette dernière subit depuis plus de quinze ans, et la mise en place de la LKW-Maut en Allemagne, un report de la circulation et le passage d’environ 20 000 poids lourds par jour sur l’autoroute A35, engendrant des nuisances pour les habitants dont la qualité de vie est fortement affectée.

Néanmoins, nous considérons que la taxe ne fera que déplacer le problème tant que les autres territoires ne pourront pas s’en saisir.

Il n’y aura donc pas de report modal du transport routier vers le transport ferroviaire ou fluvial, mais simplement un report vers les itinéraires alternatifs situés en Moselle, en Meurthe-et-Moselle et dans les Vosges – je pense notamment à l’A31, d’ores et déjà congestionnée. Pour cette raison, ma collègue Véronique Guillotin demandait l’application concomitante de la taxe sur cet axe.

M. Olivier Jacquin. Bravo !

M. Jean-Claude Requier. Les émissions de gaz à effet de serre ne baisseront donc pas si l’on n’accélère pas la décarbonation du secteur des transports. Pourtant, l’application du principe « pollueur-payeur » était le premier objectif de la taxation des poids lourds.

Cet objectif ne doit pas être perdu de vue, dans le contexte d’une acceptation difficile de la fiscalité environnementale, devenue la « vache à lait » du budget de l’État. À la lecture du dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, je me réjouis particulièrement de la recommandation visant à affecter ces recettes aux investissements nécessaires à la transition écologique.

En effet, cette transition ne peut pas reposer uniquement sur la fiscalité. D’autres solutions doivent être créées en parallèle, afin de n’entraver ni la compétitivité de nos entreprises ni le pouvoir d’achat des ménages.

Le choix de l’écologie ne doit pas toujours être celui de la taxation ou de la punition ; une telle politique serait vouée à l’échec. Le financement de la politique du fret ferroviaire demeure très en retard. Des trains circulent sur des voies datant, à certains endroits, du XIXe siècle.

Si la taxe poids lourds est appliquée, encore faut-il qu’elle produise suffisamment de ressources pour financer le fret ferroviaire et mettre fin à la distorsion de concurrence qui bénéficie encore au transport routier. En France, le prix par kilomètre est 30 % plus cher que celui qui est appliqué en Allemagne.

Réjouissons-nous de la fin du feuilleton législatif de la taxation des poids lourds, du moins pour le seul épisode alsacien. Puisque nos collègues alsaciens veulent cette taxe, et qu’ils forment le vœu de se différencier sur cette compétence, permettons-leur de l’appliquer !

Cependant, considérant que ni l’aménagement du territoire ni l’écologie n’en sortent gagnants, le groupe RDSE s’abstiendra sur le projet de loi.