Proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, depuis la diffusion large de l'internet, à compter du début des années 2000, l'usage qui en est fait soulève fréquemment de nouvelles problématiques. Cet espace de création et d'expression, qui s'affranchit volontiers des frontières, connaît naturellement aussi ses dérives et ses excès. Toute forme de régulation y est rendue difficile, tout particulièrement si elle est mise en place de façon isolée sur le plan international.Ainsi, il apparaît incontournable d'apporter une réponse concertée et coordonnée à l'échelle des États européens, comme le rappelle souvent Mme la présidente Catherine Morin-Desailly au sein de notre commission. Le législateur français a pu en faire aisément le constat lorsqu'il a souhaité s'emparer de problématiques relatives à l'encadrement de l'expression au sein de ce nouvel espace.
La majorité présidentielle a ainsi, à plusieurs reprises depuis le début de la législature, déjà entrepris d'apporter des réponses, qu'il s'agisse de lutter contre la manipulation de l'information ou contre la diffusion de contenus haineux.
Dans le premier cas de figure, sur la majorité des travées de cet hémicycle, nous avons estimé que l'objectif visé n'était pas correctement ciblé par les nouvelles dispositions introduites par les députés de la majorité et que ces dernières pouvaient même, in fine, s'avérer pernicieuses.
Dans le second cas de figure, c'est le Conseil constitutionnel lui-même qui a censuré le principal apport du texte, pointant que l'obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer dans les vingt-quatre heures, sous peine de lourdes amendes, les contenus « haineux » qui leur sont signalés risquait de porter « une atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».
C'est cette fois sur l'initiative de M. le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, soutenu dans sa démarche par le groupe LaREM, que nous sommes amenés à réfléchir à l'encadrement de l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.
Ces dernières, telles que YouTube, hébergent des chaînes sur lesquelles des mineurs de moins de seize ans sont mis en scène, la plupart du temps par des membres de leur famille, l'ambition créatrice des vidéos ainsi produites étant généralement toute relative…
En effet, l'unique objectif est souvent tout autre. Les audiences de ces vidéos étant tout à fait significatives, elles sont susceptibles d'engendrer des revenus tout aussi significatifs !
L'intention du législateur, au travers de ce texte, est, d'une part, de faire bénéficier les mineurs filmés des garanties prévues pour les enfants du spectacle en matière de temps de travail et de rémunération, et, d'autre part, de prévenir les conséquences psychologiques de long terme susceptibles d'affecter ces enfants.
Le groupe RDSE partage pleinement la préoccupation de l'auteur de la proposition de loi. Il nous faut globalement mieux appréhender l'éducation au numérique des jeunes générations, mais également celle des moins jeunes.
La prévention peut et doit, par le biais notamment, dans les années à venir, de l'action d'enseignants pour lesquels ce type d'outils sera sans doute plus familier, permettre une utilisation plus raisonnée et modérée de l'internet chez beaucoup d'entre nous, notamment les plus jeunes.
Ces derniers, tout comme leurs parents, doivent pouvoir mieux appréhender les conséquences, tout particulièrement psychologiques, qui peuvent être liées à une surexposition de leur image sur la « toile ».
Cette mobilisation pour donner à chacun les meilleures clés de compréhension d'un outil numérique capable de broyer des individus nous paraît toujours aussi indispensable.
Nous saluons donc l'initiative du président Studer, qui propose d'instaurer un cadre légal équilibré et pionnier en la matière, en opérant notamment un distinguo entre vidéos professionnelles, vidéos semi-professionnelles et vidéos amateurs, et en soumettant chacune de ces catégories à un cadre juridique spécifique.
La responsabilisation voulue par le législateur porte en outre sur les parents, mais également sur les entreprises susceptibles de conclure des contrats de placement de produits, ainsi que sur les plateformes accueillant ces vidéos.
Nous saluons aussi le travail approfondi de notre rapporteur qui, par des précisions opportunes et un renforcement des contraintes appelées à peser sur les plateformes, est venu affiner le caractère opérationnel de cette proposition de loi.
Eu égard aux remarques formulées au début de mon intervention sur l'impérieuse nécessité de trouver une réponse internationalement concertée, au moins à l'échelon européen, qui soit la plus à même d'imposer aux géants de l'internet des garde-fous, nous sommes tentés d'émettre des réserves sur-la portée véritable de ce texte.
Toutefois, cette proposition de loi nous apparaît pertinente et équilibrée sur le plan du droit. Ce ne fut pas toujours le cas des textes relatifs à la régulation du web précédemment présentés par la majorité présidentielle : ils ont pu parfois contenir des dispositions potentiellement pernicieuses.
Nous soutiendrons donc cette initiative qui permet de poser clairement le débat, un débat essentiel puisqu'il a trait à la protection de l'enfance en matière numérique. Le groupe RDSE votera la présente proposition de loi. (M. le rapporteur applaudit.)
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