Proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires ter
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires que nous avons l'honneur de vous présenter aujourd'hui s'inscrit au cœur des missions institutionnelles du Sénat.
Le sujet du désenclavement n'est en rien nouveau, mais il revêt aujourd'hui une acuité toute particulière. Les grands débats qui se déroulent en ce moment dans toute la France l'ont remis à l'ordre du jour de manière plus aiguë encore, parfois plus douloureuse, dans ces territoires et départements enclavés, contournés, dont les habitants éprouvent un très fort sentiment d'abandon. Malheureusement, nous constatons que ce mouvement est appelé à s'accélérer. La révolte de nos concitoyens contre la suppression annoncée de dessertes de villes moyennes par la SNCF est là pour nous le rappeler. Plus que jamais, nous avons besoin d'un cadre et d'un socle national qui garantissent le développement équilibré de nos territoires, maintenant et pour le futur.
C'est la raison pour laquelle nous avons saisi cette occasion, avant même la discussion du projet de loi d'orientation des mobilités, d'inscrire dans la loi un objectif national de désenclavement. Pour le groupe du RDSE, il s'agit d'adresser dès à présent un signal fort sur un sujet qui mérite de ne pas être dilué au milieu d'autres propositions. Il s'agit également d'affirmer l'objectif d'un désenclavement profondément rénové, multimodal et adapté, prenant en compte la réalité d'une France polycentrée, dont les territoires ont vocation à assurer, dans la perspective d'un enjeu environnemental majeur, leur propre trajectoire de développement durable.
Il y a près de vingt-cinq ans, le paragraphe 1 de l'article 17 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire prévoyait que, « en 2015, aucune partie du territoire français métropolitain continental ne [serait] située à plus de 50 kilomètres ou de 45 minutes d'automobile soit d'une autoroute ou d'une route expresse à deux fois deux voies en continuité sur le réseau national, soit d'une gare desservie par le réseau ferré à grande vitesse ». La loi du 25 juin 1999 a, quant à elle, fait disparaître cet objectif, sans pour autant résoudre les problèmes ni constater de progrès.
En 2008, la sénatrice socialiste Jacqueline Alquier et le sénateur centriste Claude Biwer, dans un rapport intitulé « Pour une politique de désenclavement durable des territoires », avaient déjà posé le constat que « ce critère de 45 minutes/50 kilomètres constitue un minimum qui doit être atteint partout ». Ils identifiaient déjà précisément des types de territoires enclavés : certaines zones alpines, certaines zones pyrénéennes et une partie du massif du Morvan ; des espaces à dominante rurale peu densément peuplés, éventuellement structurés par des villes moyennes, telles certaines zones du Massif central ou du Limousin ; enfin, des bassins de vie centrés sur des villes, telles que Nevers ou Auch, dans le Gers.
Madame la ministre, nous connaissons les lieux à désenclaver, pour lesquels la solidarité nationale doit s'exercer. Nous connaissons aussi votre souhait de privilégier les transports du quotidien. Les citoyens et les élus qui les représentent ont désormais besoin de garanties claires inscrites dans la loi. C'est ce que nous demandons aujourd'hui.
J'en viens au texte même.
Notre proposition de loi vise à améliorer l'accès aux infrastructures routières, ferroviaires et aériennes dans les territoires identifiés comme prioritaires.
La route constitue à cet égard le moyen universel de déplacement dans ces territoires. J'ai grand plaisir à prendre les transports en commun en venant à Paris, mais force est de constater que certains modèles ne sont pas exportables. Selon un récent rapport de l'INSEE, l'emploi du véhicule automobile prédomine dans nos départements, quelle que soit la distance à parcourir. Chez moi, dans les Alpes-de-Haute-Provence, en 2009, 82 % des personnes utilisaient leur voiture et 3,2 % les transports en commun. Pour me rendre à Paris, je dois faire une heure et demie de voiture au minimum pour accéder à un train, deux heures pour prendre l'avion. C'est cela, la réalité de l'enclavement ! J'en donnerai une autre illustration bien concrète : depuis presque trente ans, les élus des Alpes-de-Haute-Provence bataillent pour que leur ville préfecture –excusez du peu ! – soit reliée à l'autoroute... Depuis 1987, l'autoroute Grenoble-Sisteron figurait au schéma directeur routier national. Le projet de barreau autoroutier A585, qui devait relier Digne-les-Bains à l'autoroute A51, a été abandonné en 2012. Depuis plus de cinq ans, des travaux de désenclavement de Digne-Les-Bains sont prévus, mais ils ne seront pas terminés, tant s'en faut, au terme du contrat de plan État-région, en 2020. Tout l'est du département, à commencer par sa préfecture, n'en finit plus d'espérer l'achèvement de toutes les sections de travaux.
Pourtant, depuis plus de trente ans, des élus tentent de mettre en place des politiques de renforcement de l'attractivité de leur territoire, des politiques touristiques, sans bénéficier de moyen de communication rapide avec l'extérieur. Cela revient, ni plus ni moins, à nager à contre-courant. C'est aussi cela la réalité de l'enclavement et de l'isolement de nos territoires ! Nous avons besoin d'actes concrets.
L'article 1er du texte s'appuie sur la proposition de loi de 2017 de notre collègue Alain Bertrand et prévoit, à des fins d'impulsion, un délai plus court que celui de la loi Pasqua. Nous maintenons le critère de distance et de temps –50 kilomètres ou 45 minutes de voiture –, mais nous intégrons les bassins d'emploi, en prévoyant que ce critère de distance et de temps concernera aussi les unités urbaines comptant de 1 500 à 5 000 emplois. La commission a par ailleurs intégré, sur proposition de Ronan Dantec, l'accès à une ligne à grande vitesse dans l'objectif de désenclavement. Nous proposerons, par voie d'amendement, sur l'initiative notamment de mon collègue Jean-Pierre Corbisez, de préciser ces distances en intégrant la notion de distance parcourue par rapport à la ville préfecture, lieu de référence commun à toute la ruralité.
L'article 2 prévoit d'inscrire dans la loi un principe d'adaptation s'imposant à l'État, en vue de prendre en compte des projets plus adaptés aux réalités topographiques, économiques et financières. En 2014, dans son rapport sur l'hyper-ruralité, Alain Bertrand avait déjà fait le constat que l'uniformité avait entraîné l'élaboration de projets surdimensionnés, au coût pharaonique, qui n'ont pu voir le jour.
Concernant le volet du transport aérien, la proposition de loi pose également clairement l'objectif d'améliorer le fonctionnement des lignes d'aménagement du territoire et infrarégionales. Je rappelle ici que le désenclavement aérien est censé être assuré par une couverture aérienne minimale. Les entreprises de transport concernées sont soumises à des obligations de service public et perçoivent des subventions à ce titre. Mais, concrètement, ces entreprises affectent du matériel ancien à ces lignes et ne parviennent pas à respecter leurs obligations. Il convenait donc à la fois de mieux contrôler le respect de ces obligations et de mieux sécuriser les financements.
L'article 3 vise à permettre aux départements et aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, de s'engager financièrement, sans empiéter sur les compétences régionales.
L'article 4 impose aux entreprises soumises à des obligations de service public de remettre un bilan d'activité tous les six mois.
L'article 5, remanié par la commission, prévoit, à l'instar de l'article 2, d'adapter l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure, avec pragmatisme et responsabilité. Nous avons déjà eu quelques débats sur ce sujet dans notre hémicycle. Force est de constater que le dossier n'est pas clos et que des aménagements sont possibles. La commission a ainsi proposé que le préfet et le président du conseil départemental puissent déroger à cet objectif national uniforme de 80 kilomètres par heure, par arrêté motivé et après avis de la commission départementale de la sécurité routière.
Dans le même esprit, l'article 6 prévoit que le Gouvernement avance la publication d'une évaluation sérieuse de la mesure, pour l'heure prévue l'année prochaine.
Mes chers collègues, cette proposition de loi répond à une urgence démocratique. Son adoption constituera la garantie concrète que l'État est bien aux côtés des territoires ruraux, qu'il prend l'engagement de soutenir en totalité la colonne vertébrale française, c'est-à-dire tous les territoires. Elle se fonde sur une conception rénovée et moderne de l'aménagement de la France métropolitaine. Avec la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, la proposition de loi de notre collègue Éric Gold visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux et la présente proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires, nous signifions que nous croyons en une France polycentrée, capable d'assurer son propre développement pour être ainsi pleinement associée au destin républicain.
Nous sommes convaincus que les enjeux liés au réchauffement climatique plaident en faveur de déplacements plus courts, plus sobres, et que nos propositions donneront corps à cette exigence.
De la même manière, nous sommes convaincus qu'il convient d'accompagner le désir des Français de s'établir hors des très grandes villes afin de pouvoir bénéficier d'un cadre et d'un rythme de vie différents, avec des formes d'économie sociale et solidaire qui restent à inventer et à conforter.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Roux. Je conclus, monsieur le président.
C'est cette France polycentrée que nous défendons ici. Nous nous attacherons bien entendu à ce que le financement correspondant à cette ambition soit bien prévu, notamment au titre des prochains contrats de plan État-région.
M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement du 12 février, a déclaré, en parlant de la ruralité, que « le vrai sujet est celui de la démographie, et nous devons tout faire pour que les familles se réinstallent dans les territoires ruraux ». Je réponds : chiche ! Désenclavons nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
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