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Question d'actualité sur l'intervention turque en Syrie

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

 

M. Jean-Claude Requier. Depuis une semaine, les regards du monde sont une nouvelle fois tournés, hélas ! vers la Syrie, depuis que l'armée turque a lancé son offensive contre les forces kurdes des YPG. Officiellement, Ankara souhaite établir le long de sa frontière une zone de sécurité en installant au moins 1 million de réfugiés et en construisant, en un temps record, villes et infrastructures. Mais, dans les faits, ce sont à nouveau des milliers de civils qui sont pris dans l'étau d'une guerre civile qui déchire, depuis 2011, ce pays martyr, avec des conséquences humanitaires terribles : on parle de près de 160 000 déplacés, d'exactions, de règlements de compte nourris par des haines longuement mûries.

L'offensive turque, qui suit le retrait des troupes américaines, s'inscrit dans ce que l'ancien ambassadeur de France en Syrie, Michel Duclos, appelle « la géopolitique des nouveaux autoritaires ». Ou quand la volonté de puissance intérieure et extérieure des dirigeants turcs, russes ou iraniens a fait de la Syrie le terrain de jeu mortifère de leurs ambitions.

Ne nous y trompons pas : ce qui se passe met gravement en cause la stabilité régionale et internationale, avec en toile de fond le retour en force de Bachar al-Assad, le spectre de la résurgence de Daech, que les forces kurdes ont combattu, mais qui, comme l'hydre, n'a jamais totalement disparu, la pantomime pathétique d'une OTAN déchirée, le spectacle désolant d'une Europe militairement impuissante – et nous reconnaissons l'engagement du Président de la République en faveur d'une armée européenne.

Oui, la France entretient des liens d'amitié profonds et anciens avec le peuple turc. Mais le chantage de ses dirigeants est insupportable. Il appelle de notre part la plus grande fermeté.

Monsieur le Premier ministre, que va faire la France pour que faire cesser l'offensive turque et le drame humanitaire qui s'annonce ? Comment agira-t-elle pour empêcher la fuite des djihadistes français aujourd'hui détenus ? Quelles sont nos marges de manœuvre pour tenter de stabiliser cette région ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Requier, vous avez rappelé les faits. Je veux les confirmer dans une certaine mesure.

Le 9 octobre dernier, comme nous le savons tous, la Turquie a décidé, de manière unilatérale – je le dis clairement –, de lancer une offensive en Syrie contre les forces démocratiques syriennes. Cette offensive est d'une ampleur considérable tant par les moyens qu'elle mobilise, avec le soutien massif de supplétifs syriens de l'armée nationale syrienne, que par le périmètre et la profondeur de l'offensive terrestre. Les frappes aériennes se sont étendues à l'ensemble de la frontière, notamment à l'extrême nord-est, très au-delà de la zone d'incursion terrestre réalisée.

Le 13 octobre, les États-Unis ont décidé, là encore de manière unilatérale, de retirer leur dispositif militaire du nord-est syrien.

Ces deux décisions unilatérales emportent des conséquences très lourdes pour nos partenaires kurdes, qui se sont battus à nos côtés contre Daech, hommes et femmes réunis, et à qui je veux rendre une nouvelle fois hommage en notre nom à tous. (Applaudissements.)

Conséquences très lourdes aussi pour notre sécurité : après cinq années de lutte, le risque d'une résurgence des effectifs et des forces de Daech est quasiment avéré. L'idée que l'État islamique puisse reprendre pied de façon organisée, que ce soit au nord-est syrien ou, le cas échéant, à travers la déstabilisation de la région, au nord-ouest irakien fait peser un risque sécuritaire sur l'ensemble de la région et sur l'ensemble de nos pays pour les raisons que nous n'ignorons pas.

Conséquences très lourdes encore sur le plan humanitaire : 700 000 civils se trouvent aujourd'hui dans cette zone, des familles entières ont pris la route pour fuir les combats. Depuis le début de l'offensive, on dénombre 150 000 déplacés et, bien évidemment, de premières victimes civiles.

Conséquence très lourdes, enfin, sur la recherche d'une solution pérenne dans la région : l'offensive militaire et les menaces de la Turquie de réinstaller, de force, les réfugiés syriens en Turquie, dans la zone des trente kilomètres qui longe la frontière entre la Syrie et la Turquie, ne va pas faciliter l'avènement d'une solution politique dans la région.

Monsieur le président Requier, vous posez la question de la réaction de la France. Nous avons pris un très grand nombre d'initiatives.

D'abord, la France a, de la façon la plus claire et la plus ferme, condamné cette opération militaire. Nous l'avons dit à l'ambassadeur de Turquie en France, par l'intermédiaire du Quai d'Orsay. Le Président de la République a eu l'occasion de s'entretenir avec le Président Erdogan : il lui a dit clairement quelle était la position de la France et lui a signifié notre condamnation de cette opération militaire.

Nous avons ensuite cherché à mobiliser dans les enceintes internationales, et partout où le multilatéralisme a du sens, l'ensemble de nos partenaires : c'est vrai du Conseil de sécurité de l'ONU, qui s'est réuni en urgence ; c'est vrai de l'Europe, qui s'est exprimée d'une seule voix ; c'est vrai aussi de la coalition. N'oublions pas que la décision unilatérale des États-Unis, au regard de leur importance au sein de la coalition, empêche les autres pays membres de continuer de peser sur le terrain.

Face à l'impact de cette opération militaire sur la sécurité européenne, nous avons décidé, avec d'autres pays, de suspendre nos exportations d'armes vers la Turquie. C'est une décision commune de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Finlande et du Royaume-Uni. Le Canada a pris la même décision.

Nous souhaitons, avec nos partenaires de l'Union européenne, continuer de prendre toutes les initiatives possibles en vue de conduire la Turquie à mettre un terme à cette opération. Toutefois, compte tenu des décisions turques et de l'unilatéralisme dont ce pays a fait preuve, ne nous voilons pas la face : demander, condamner, inciter, nous le ferons ; obtenir, ce sera beaucoup plus difficile – ce le sera d'autant plus en raison de la décision unilatérale des États-Unis.

Sans jeter l'opprobre sur qui que ce soit, monsieur le président Requier, les conséquences de cette décision unilatérale seront très lourdes : pour les États-Unis, sans doute ; pour la région, c'est certain ; et probablement même pour la façon dont nous nous envisageons les relations avec nos partenaires sur des théâtres d'opérations compliqués. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Simon Sutour applaudit également.)

 

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