Proposition de loi portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires-2
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe du RDSE a pris l'initiative de soumettre au vote de la Haute Assemblée cette proposition de loi portant création d'une agence nationale de la cohésion des territoires.
Cette agence, je vous le rappelle, répond au souhait exprimé par de nombreux élus et par certaines de leurs associations, notamment par le président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, l'AMF. Elle s'inscrit également dans le prolongement de l'intervention du Président de la République le 17 juillet 2017 au Sénat. Le chef de l'État avait alors clairement exprimé sa volonté de voir aboutir la création de cette agence, afin de mettre au service des projets des territoires un État facilitateur clairement identifié dans chaque département, avec un interlocuteur unique et la capacité de mobiliser des compétences en ingénierie territoriale.
Ce texte est le résultat d'un travail en partenariat entre le groupe du RDSE et le ministère de la cohésion des territoires, alors dirigé par notre collègue Jacques Mézard, travail auquel a été associé bien sûr le commissaire général à l'égalité des territoires, préfigurateur de l'agence nationale de la cohésion des territoires, l'ANCT, Serge Morvan, que je salue.
Ces échanges constructifs ont permis de présenter un texte équilibré, prévoyant une synergie organisée avec plusieurs agences : il est en effet chaque jour plus évident que la coordination des diverses politiques de ces dernières est une impérieuse nécessité pour mieux répondre aux légitimes aspirations du territoire, en particulier dans les zones fragiles.
Il est plusieurs points que le groupe du RDSE considère depuis l'origine comme fondamentaux. Les modifier serait contraire à l'essence même du travail qu'il a effectué.
Tout d'abord, nous avons expressément soutenu, en accord avec l'ancien ministre, que l'agence soit présidée par un élu. C'est à notre sens un point non négociable, tout comme n'est pas négociable la présence d'une forte représentation des collectivités dans l'exécutif de l'agence. Par ailleurs, mon groupe tient avec force à l'intégration de l'Agence du numérique dans l'ANCT.
Au moment où le combat contre la fracture numérique est légitimement une priorité nationale pour lutter contre les déséquilibres territoriaux – je salue notamment le travail de Patrick Chaize –, il serait anormal que l'Agence du numérique ne rejoigne pas l'ANCT. C'est d'ailleurs une orientation énoncée par le Président de la République lui-même.
Nous connaissons les réticences : celles de Bercy et d'autres clairement identifiées qui, de manière directe ou indirecte, empêchent cette fusion ou à tout le moins la retardent, pour in fine chercher à y échapper.
Aucun des arguments exposés ne repose sur des fondements solides. L'enjeu est pourtant clair : veut-on ou non que le développement du numérique sur l'ensemble du territoire soit une ambition partagée entre les collectivités locales et l'État pour un aménagement équilibré du territoire, ou préfère-t-on que Bercy et la haute administration continuent à exercer, dans les faits, un contrôle total dans ce domaine ?
Je n'ignore pas le combat mené par Jacques Mézard sur ce projet dans l'intérêt des collectivités territoriales. C'est aussi le nôtre, car il faut sortir des arguties et des faux-semblants sur cette question. Je sais que M. le rapporteur, Louis-Jean de Nicolaÿ, dont je salue de travail considérable, partage lui aussi cette préoccupation majeure. Bien sûr, nous attendons une confirmation claire du Gouvernement sur ce point et nous espérons qu'il maintiendra la même position devant l'Assemblée nationale.
Plus globalement, l'administration territoriale de l'État a été confrontée ces dernières années à des transformations géographiques et démographiques profondes, notamment en raison du poids plus prépondérant des métropoles.
De leur côté, les collectivités territoriales ont dû digérer cette évolution, mais aussi faire face à des transferts successifs de compétences, sans pour autant bénéficier des compensations financières correspondantes, ce qui a pénalisé les plus fragiles d'entre elles.
Alors que la déconcentration et la décentralisation auraient dû, dans l'idéal, aboutir à une simplification administrative et accroître les libertés locales, elles ont donné lieu au contraire à plus de complexité et elles se sont traduites par la disparition des services de l'État dans de nombreux territoires, au détriment de l'égalité.
L'abandon de l'assistance technique fournie par l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire, l'ATESAT, a ainsi été, à notre sens, une erreur. Dans son rapport public thématique sur les services déconcentrés de l'État, la Cour des comptes estime que le bilan global de cette suppression pourrait être défavorable en termes d'efficience comme d'impact sur l'ensemble des finances publiques. Les collectivités territoriales, du moins celles qui le peuvent, ont été obligées de compenser la perte de ces moyens d'ingénierie publique.
Mes chers collègues, notre pays doit franchir une nouvelle étape dans le renforcement de la légitimité de l'action publique pour rétablir une relation de confiance avec nos concitoyens. L'État doit faciliter et accompagner les projets en partant des besoins des territoires.
Telle que nous la concevons, la présence de l'État dans nos territoires ne doit pas se diluer dans un maquis normatif souvent incompris. L'État ne doit pas être celui qui répond sans apporter de solutions. Au contraire, il doit soutenir la libre autonomie des collectivités territoriales, leur développement économique et l'accessibilité des services publics, en proposant des solutions.
Pour cela, l'action publique doit se moderniser. Des changements culturels s'imposent, dans une logique de guichet unique très clairement détaillée par le rapport Morvan. L'ANCT doit être un instrument de mise en cohérence opérationnelle des moyens techniques, juridiques, financiers et humains, assurée par le préfet. À la fois délégué territorial de l'agence et représentant de l'État, celui-ci disposera d'une vision d'ensemble sur l'appui qui pourra être apporté aux territoires, surtout à ceux qui en ont le plus besoin. C'est pour nous une verticalité inversée que je qualifierais de vertueuse.
J'insisterai sur un point. Nous n'avons surtout pas la volonté de mettre en œuvre une recentralisation de la décision : cela n'irait pas dans le sens de l'histoire.
Il est d'ailleurs intéressant de s'arrêter sur la définition d'une agence telle qu'elle a été posée par le rapport du Conseil d'État publié en 2012 : l'agence est un organisme autonome exerçant une responsabilité structurante dans la mise en œuvre d'une politique nationale. À ce titre, elle concourt à la mise en œuvre de la politique de la Nation au sens de l'article 20 de la Constitution.
Cet excellent rapport prévoyait quatre critères pour un recours approprié aux agences. Nous les avons appliqués : l'efficience, avec une spécialité dans des tâches de gestion à grande échelle ; l'expertise, distincte de celle des services de l'État et que nous avons mobilisée dans sa diversité, à l'instar de ce que préconisait le rapport Morvan ; le partenariat avec les collectivités territoriales pour la mise en œuvre de la politique d'aménagement du territoire ; et, enfin, la neutralité en évitant l'intervention du pouvoir politique dans l'ensemble des processus de décision.
Le recours à une agence se justifie donc pour permettre à l'État de se concentrer sur son rôle de stratège. Comme l'écrivait Alexandre-François Vivien en 1845 dans un ouvrage consacré à la science administrative : « Le pouvoir politique est la tête, l'administration est le bras. »
M. Pierre-Yves Collombat. Autrefois ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Requier. Cela doit redevenir le cas, cher collègue !
Pas plus de recentralisation donc, car une partie de l'Agence du numérique – hors high-tech –, service à compétence nationale, et du Commissariat général à l'égalité des territoires, le CGET, administration centrale, intégreront un établissement public disposant d'une autonomie de décision. Le préfet reste le délégué territorial de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU, et de l'Agence nationale de l'habitat, l'ANAH.
La gouvernance laisse ainsi une place prépondérante aux représentants des collectivités territoriales, parmi lesquels sera élu le président du conseil d'administration. Nous étions d'ailleurs très défavorables à la mise en place d'un duo entre le directoire et le conseil de surveillance, ce qui aurait, selon nous, réduit les pouvoirs des représentants des collectivités territoriales.
L'ANCT ne devra certainement pas être une énième structure administrative ni une coquille vide. Elle devra mutualiser des moyens pour surmonter l'organisation aujourd'hui en silo qui pénalise la conduite des projets.
Comme le souligne à juste titre le Conseil d'État dans son avis dont nous avons voulu la publication, il reviendra ensuite au pouvoir réglementaire de définir « des procédures de décision efficaces permettant au nouvel organisme de répondre aux attentes des collectivités territoriales et d'assurer pleinement sa mission de coordination des actions et projets des autres services et opérateurs de l'État. » Dans tous les cas, le Conseil d'État a jugé positive cette orientation opérationnelle.
Pour conclure, je salue le travail du rapporteur et de la commission, grâce auquel a été apporté un certain nombre d'améliorations à la suite de l'avis du Conseil d'État. Toutefois, nous exprimerons dans le cours de la discussion une opposition au report à 2021 de la date d'intégration de l'Agence du numérique. Nous le savons : ou bien elle est intégrée dès le départ ou bien cette intégration ne se fera pas. C'est d'autant plus vrai si cette intégration doit intervenir un an avant l'échéance du plan très haut débit.
Mes chers collègues, cette agence est très attendue par les collectivités territoriales, en particulier par les plus fragiles d'entre elles. Le Sénat est aujourd'hui dans son rôle de représentant des collectivités territoriales. Honorons ce mandat qui nous a été confié en faisant de cette agence un outil efficace d'aménagement du territoire et un instrument à l'écoute de chaque territoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)
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