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Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale

Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 29 mars dernier, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, j’ai appelé l’attention sur l’état alarmant de la santé mentale des jeunes, un sujet qui est au cœur de la proposition de résolution que j’ai déposée et que nous étudions aujourd’hui.

 

L’actualité nous rappelle brutalement, souvent hélas à la suite du tragique suicide d’un jeune, la souffrance psychique de nombreux enfants, adolescents et étudiants. Chanel, Lindsay, Nicolas, Lucas : ces vies brisées reflètent une réalité dure ; ces décès sont insurmontables pour les familles concernées.

Oui, de plus en plus de jeunes connaissent un état dépressif. Si les causes du mal-être sont propres à chaque individu et parfois complexes à établir, les études sur la santé mentale recensent plusieurs marqueurs.

L’adolescence est bien entendu une période difficile, la puberté supposant l’acceptation plus ou moins facile des changements corporels. En outre, on est rarement indifférent au regard des autres durant cette période de la vie.

L’isolement concerne plus particulièrement les étudiants, qui sont souvent coupés de leurs proches. C’est très anxiogène, en particulier en milieu urbain. Nous l’avons mesuré durant la pandémie de la covid.

Les violences morales, physiques ou sexuelles au sein de la famille, ou en dehors de celle-ci, sont également à l’origine de drames et de nombreux troubles psychiques.

Concernant les violences extrafamiliales, la question du harcèlement scolaire tourmente des milliers d’enfants et hante des parents souvent impuissants face à ce phénomène, quand ils ne sont pas tout simplement ignorants de la tragédie qui s’immisce sournoisement dans leur foyer.

La semaine dernière encore, un jeune Toulousain, victime de harcèlement scolaire, s’est poignardé en plein cours.

On le constate et on le déplore, le harcèlement scolaire a pris une tournure encore plus dramatique depuis son irruption sur les réseaux sociaux. Longtemps cantonné aux cours d’école, il trouve une audience démultipliée et extrascolaire sur les réseaux, qui ne fait qu’aggraver le phénomène pour les victimes.

Parmi les autres maux contemporains susceptibles d’affecter la santé mentale, je n’oublie pas la violence visuelle à laquelle sont exposés les adolescents du fait de leur addiction aux écrans, source d’isolement et d’accès sans filtre à des informations difficiles, voire effrayantes.

Quant au changement climatique, il provoque aujourd’hui ce que l’on appelle l’écoanxiété, un mélange de peur, de colère et de tristesse pouvant déboucher aussi sur des états dépressifs.

À ce sombre tableau, il faut ajouter les inégalités qui affectent les jeunes différemment selon leur milieu social ou même leur genre.

À l’évidence, la précarité est un facteur de dégradation de la santé mentale, les difficultés financières constituant une préoccupation qui peut tourner à l’anxiété et, en parallèle, constituer un handicap pour l’accès aux soins. En Nouvelle-Aquitaine, par exemple, un jeune sur quatre n’a pas de médecin traitant.

Concernant les inégalités de genre, les études sur les troubles psychiques soulignent que, en raison de la prévalence des violences faites aux femmes, la dépression touche davantage les jeunes filles.

Tous ces facteurs aboutissent à un constat clinique dramatique : troubles du sommeil, phobie scolaire, anorexie, troubles obsessionnels compulsifs, dépression, schizophrénie, consommation abusive d’alcool, drogue, agressivité et actes suicidaires dans les cas les plus tragiques.

Mes chers collègues, les chiffres fournis par Santé publique France sont glaçants.

En 2021, près de 43 % des étudiants ont déclaré s’être retrouvés en situation de détresse psychologique, contre 29 % l’année précédant la pandémie de covid. Alors que la dépression touchait déjà 11,7 % des 18-24 ans en 2017, en 2021, ce sont 21 % des jeunes, soit le double, qui sont tristement concernés.

En septembre 2023, soit près de deux ans après les difficiles périodes de confinement, les passages aux urgences pour gestes et idées suicidaires, troubles de l’humeur et anxiété ont nettement augmenté chez les enfants de moins de 18 ans, avec un corollaire inquiétant, l’augmentation de la consommation médicamenteuse : près de 5 % d’enfants ingèrent des psychotropes.

Depuis 2014, la prescription d’antipsychotiques, d’hypnotiques, de sédatifs et d’antidépresseurs ne cesse d’augmenter.

Face à cette situation, quelles réponses apporter ?

Au regard de son ampleur, ce fléau nécessite une prise de conscience collective et une action publique volontaire et ambitieuse.

Tel est d’ailleurs le sens d’une déclaration en juin 2022 de la Défenseure des droits, qui invitait le Gouvernement à mettre en place un plan d’urgence pour la santé mentale des jeunes face à la gravité de la situation. Dans cet hémicycle, en réponse à la question d’actualité que j’évoquais au début de mon propos, le ministre de la santé et de la prévention d’alors rappelait que « la santé mentale, particulièrement celle des jeunes, doit être une priorité pour ce gouvernement ».

Aujourd’hui, je souhaite voir se concrétiser cette déclaration d’intention. Tel est le sens de ma proposition de résolution, soutenue par le groupe du RDSE.

Nous savons qu’une telle action publique suppose une remobilisation des moyens. En 2021, l’ensemble de la communauté pédopsychiatrique française indiquait d’ailleurs dans une tribune : « Les besoins pour assurer la santé mentale de la jeunesse de notre pays sont criants. » Il est vrai que le secteur de la psychiatrie apparaît souvent comme le parent pauvre de la médecine.

Les familles sont désemparées lorsqu’on leur annonce qu’il leur faudra attendre deux ans pour obtenir une place dans un centre médico-psychopédagogique (CMPP). Pourquoi ces délais ? Parce que nous comptons seulement 600 pédopsychiatres pour près de 10 millions d’enfants et 800 médecins scolaires, soit un médecin pour 15 000 élèves.

En outre, l’offre d’équipements ambulatoires et hospitaliers du secteur infantojuvénile est répartie de façon inégalitaire sur le territoire. Ces établissements sont dépassés par les demandes, d’autant plus que les familles n’y avancent pas les frais.

Au manque de professionnels de santé spécialisés et de places en milieu médical s’ajoute le problème de l’inadaptation des soins pour les jeunes patients, faute de moyens pour une approche globale. Ce défaut de prise en charge peut conduire à des situations de surmédication pour des milliers d’enfants, qui sont traités avec des produits normalement destinés aux adultes.

Sans vouloir diaboliser le recours aux médicaments, qui, dans nombre de cas, est nécessaire pour soutenir les jeunes patients, il apparaît indispensable qu’un effort soit entrepris pour renforcer le déploiement des pratiques psychothérapeutiques et de prévention, afin de constituer une offre robuste de soins de première ligne et d’éviter la médication.

Je ne dis pas bien sûr, madame la ministre, que rien n’a été réalisé, et les quelques dispositifs qui ont fait leurs preuves au cours de ces dernières années doivent être poursuivis et renforcés.

Je pense à MonParcoursPsy pour les moins de 18 ans, aux maisons des adolescents, aux points santé dans les missions locales, au Fil Santé Jeunes d’aide à distance, aux campagnes nationales de sensibilisation, telles que « En parler, c’est déjà se soigner », ou au dispositif de recontact VigilanS, qui vise à prévenir les tentatives de suicide.

Je pense également à l’expérimentation pionnière en Gironde d’un dispositif né en Australie, qui consiste à former des étudiants sentinelles. Je pense enfin aux formations de premiers secours en santé mentale mis en œuvre au sein de la faculté de Bordeaux. Cet outil est étendu depuis 2019 aux autres campus du territoire.

Parce que les troubles mentaux apparaissent très tôt dans la vie – la moitié des pathologies s’installe avant l’âge de 18 ans –, j’attire également votre attention, madame la ministre, sur le rôle de la médecine scolaire.

En raison des objectifs de dépistage obligatoire des élèves de 6 ans qui lui sont fixés, la médecine scolaire est un outil décisif de prévention et d’orientation des enfants vers un parcours de soins adapté. Mais, pour être efficace, le secteur doit avoir les moyens de remplir ses missions. Or on observe partout sur le territoire une pénurie de médecins, de psychologues et d’infirmiers scolaires. Cette situation est regrettable.

Je n’ignore rien des problèmes de démographie médicale, mais il est urgent de repenser les missions et de renforcer les moyens du service de santé scolaire pour le rendre plus performant et plus attractif pour les médecins et les infirmiers.

Revaloriser les salaires permettrait certainement de perdre moins de personnels de santé lorsqu’ils manifestent le souhait de se reconvertir en les orientant vers la médecine scolaire.

Mes chers collègues, promouvoir dans les discours la nécessité d’une France résiliente est vaine si, dans le même temps, on ne donne pas à chaque enfant le moyen de forger sa propre résilience et de faire respecter ses droits élémentaires.

Aussi, au travers de cette proposition de résolution, nous invitons le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale, à donner de la visibilité à ce fléau et à briser ce tabou.

Nos jeunes en difficulté ont besoin d’une prise en charge précoce et de qualité, de meilleures capacités d’accueil en soins de psychiatrie et d’accès aux psychologues, d’une médecine scolaire à la hauteur des besoins et d’une prise en charge psychothérapeutique autant que cela leur est nécessaire.

Nous faisons face à un défi immense, mais nous avons surtout une lourde responsabilité : celle d’être au rendez-vous pour notre jeunesse, afin qu’elle puisse se construire et bâtir une société plus sereine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)

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