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Débat sur l'hydrogène, une énergie d'avenir

La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe auteur de la demande.

 


M. Jean-Pierre Corbisez, au nom du groupe du RDSE. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà un mois, nous débattions des mobilités du futur et, à cette occasion, j'avais souligné les enjeux attachés, selon moi, au développement de l'hydrogène. C'est donc dans le prolongement de ce débat, mais aussi au vu de la question fondamentale de la transition énergétique pour notre pays, que le groupe du RDSE a choisi de mettre ce thème à l'ordre du jour du Sénat.
Les opportunités qu'offre le développement de l'énergie hydrogène sont aujourd'hui documentées. Au regard de l'urgence écologique, elles doivent nous conduire à accélérer nos réflexions et nos décisions, afin de garantir le développement d'une filière d'excellence en la matière et d'accompagner le déploiement de cette énergie nouvelle, qui présente de multiples applications.
L'hydrogène permet de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Convertible en énergie via une pile à combustible, l'hydrogène peut en effet être utilisé dans les mobilités urbaines – voitures particulières, bus, trains –, le bâtiment ou encore l'habitat – production d'électricité et de chaleur. Il permet de développer la mobilité électrique dans l'ensemble du secteur du transport, un secteur utilisateur de 30 % de l'énergie consommée dans notre pays.
L'hydrogène peut être facilement stocké et injecté, en étant par exemple associé au méthane, dans les réseaux de gaz naturel. Enfin, il représente un enjeu de compétitivité pour nos entreprises, à l'origine de nombreuses innovations.
Oui, les initiatives existent déjà, et il faut les encourager ! J'en veux pour preuve l'action conduite dans mon département, le Pas-de-Calais, par le Syndicat mixte des transports Artois-Gohelle. Ce syndicat, qui couvre le territoire de trois agglomérations, représentant un demi-million d'habitants, lancera très prochainement sa nouvelle ligne de bus à haut niveau de service, BHNS.
Les élus de ce territoire marqué par l'exploitation minière et une forte industrialisation ont fait le choix d'encourager le développement pour le réseau de transport en commun d'un mix énergétique. Ainsi, le réseau associera, à côté de bus circulant encore gasoil, des bus électriques et hybrides. Surtout, le syndicat lancera très prochainement une ligne assurée par des bus à hydrogène, la première de France, même si je sais qu'une réflexion similaire est en cours à Pau.
Ces bus vont parcourir 420 000 kilomètres par an avec zéro CO2 rejeté, alors qu'un bus diesel en émet 88 tonnes. Les élus ont également fait le choix de produire et de stocker l'hydrogène sur place en installant un électrolyseur, économisant ainsi le CO2 produit pour l'acheminement de l'hydrogène. La station rejettera, quant à elle, 374 tonnes d'oxygène, soit l'équivalent de 56 hectares de forêt. Les travaux de construction du dépôt se terminent, pour une ouverture dans les semaines à venir et une mise en circulation des bus cet été.
Cet exemple illustre bien, madame la secrétaire d'État, le dynamisme de nos territoires. Il doit nous inspirer et pousser des initiatives similaires dans d'autres secteurs du transport comme l'aérien, le ferroviaire, le maritime ou le fluvial.
Les technologies sont prêtes. Toutefois, nous le savons, le coût reste pour l'instant un facteur bloquant, et c'est là l'un des premiers défis auxquels nous sommes confrontés.
Les coûts de fabrication peuvent pourtant être diminués en imaginant des mesures incitatives et en industrialisant la chaîne de production pour rentabiliser les investissements. Nous saisirions ainsi l'occasion de développer une nouvelle filière industrielle créatrice d'emplois dans un contexte où notre tissu industriel est menacé, à l'image de notre filière sidérurgique, aujourd'hui en grande difficulté.
Prenons aussi l'exemple du vélo à hydrogène, dont Mme Borne a parlé ici, voilà quelques semaines. Il s'agit d'une innovation de la société Pragma Industries, une première mondiale qui permet une autonomie de plus de 100 kilomètres, pour un temps de recharge d'une à deux minutes, là où l'électrique nécessite plusieurs heures. Malheureusement, le coût unitaire reste prohibitif, pour l'instant, et il est à craindre qu'il ne reste cantonné à des flottes d'entreprises ou de collectivités, faute de portage politique ou de simplification juridique pour obtenir des subventions.
Sur ce plan, le projet de loi d'orientation des mobilités aurait pu être plus volontariste, en intégrant par exemple des mesures incitatives pour accompagner le verdissement des flottes d'entreprises, de taxis ou de VTC, ou encore en étendant le forfait mobilité aux propriétaires des véhicules à très faibles émissions de CO2.
Je veux néanmoins rendre hommage, ici, au ministre Nicolas Hulot, à l'initiative, en 2018, de notre premier plan hydrogène, lequel doit permettre, dès aujourd'hui, la mobilisation de 100 millions d'euros, dont une partie profitera à nos territoires via les appels à projets de l'Ademe, à condition que les démarches administratives soient connues et simplifiées.
L'un des trois axes de ce plan mérite plus particulièrement que l'on s'y arrête. Il s'agit de l'enjeu d'une production décarbonée de l'hydrogène. En l'effet, l'hydrogène porte l'ambition d'une énergie future totalement propre, mais à la condition qu'il soit produit lui-même, via des énergies renouvelables.
Les facilités qu'il offre en matière de stockage doivent notamment permettre une complémentarité avec le solaire et l'éolien, le stockage de l'énergie produite par ces moyens étant aujourd'hui complexe. Coupler des unités de production et de stockage d'hydrogène à des sites solaires ou éoliens représente un axe de développement et de réflexion dans notre recherche d'une énergie propre et renouvelable, disponible non seulement pour les transports, mais aussi pour le monde économique, qui a besoin d'énergie supplémentaire. Avec l'hydrogène, nul besoin de mettre en place des lignes aériennes supplémentaires qui défigurent le paysage.
Là encore, les territoires nous montrent l'exemple. Nous connaissons tous le Grid, qui injecte de l'hydrogène dans le réseau de gaz de la communauté urbaine de Dunkerque, ou, à Paris, les taxis Hype. Plus simplement, un village de l'Aisne, Tupigny, a installé des éoliennes couplées à un électrolyseur qui produit de l'hydrogène, lequel est utilisé pour alimenter deux véhicules mis à la disposition des habitants pour réaliser leurs démarches administratives à la préfecture ou à la sous-préfecture.
Toutefois, rien de structurant ne pourra se faire sans un engagement fort de l'État. D'ores et déjà, les acteurs de la filière mettent en garde sur la sécurisation des financements. Le premier appel à projets lancé par l'Ademe montre un nombre considérable de sollicitations, et toutes ne pourront pas être financées.
Il est indispensable que l'État puisse dès aujourd'hui inscrire dans la durée ses financements et les majorer autant que nécessaire, car rien ne serait pire que de décourager les initiatives.
L'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible, l'AFHYPAC, appelle de son côté à la mobilisation de mécanismes de garantie des risques, notamment en cas de sous-utilisation des équipements, à l'image du dispositif France Transition, préconisé par le rapport Canfin-Zaouati.
Oui, mes chers collègues, nous devons travailler pour forger un outil au service du renforcement des investissements, de la réorientation des flux privés, où l'argent public serait utilisé pour le partage du risque.
La filière se trouve en effet confrontée à un déficit d'investissement et, si elle souligne l'existence de nombreux outils financiers, ils ne permettent pas, selon elle, de passer à l'échelle supérieure, c'est-à-dire à une véritable phase de déploiement.
Il nous faut inventer des mécanismes de financement innovants, associant fonds publics et fonds privés, à l'instar de ce qui peut exister aux États-Unis ou au Japon, en couplant garanties, prêts bonifiés et fonds propres.
Mes chers collègues, ce sujet est passionnant ; l'ambition est réelle ; l'enjeu en matière de développement durable est déterminant, d'autant que les technologies existent.
Notre pays ne doit pas rater ce rendez-vous. Le recul récent annoncé par le Président de la République en matière d'objectifs de réduction de nos émissions de C02 ne nous rassure pas, c'est peu de le dire. Le retard considérable que nous avons pu prendre sur des programmes innovants, comme les trains à hydrogène, est préoccupant. L'Allemagne fait déjà circuler ses propres trains de manière régulière, qui plus est avec l'appui d'Alstom, tandis que le premier déploiement en France ne se ferait qu'aux alentours de 2022-2024.
Toutes les conditions sont réunies pour que nous avancions de façon unie sur le plan écologique et industriel, sans oublier les créations d'emplois qui pourraient en résulter. Ce dont nous avons besoin de toute urgence aujourd'hui, c'est d'une volonté politique forte pour accompagner ce tournant technologique que notre pays n'a pas le droit de manquer.
À cet égard, madame la secrétaire d'État, nous en appelons à un engagement fort du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Alain Fouché applaudit également.)

 

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