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Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, un article unique, dix-quinze mots : voilà ce qui nous réunit aujourd'hui. Ce texte a fait couler beaucoup d'encre ; il a engendré des heures de débat et a déchaîné les passions, plus particulièrement parmi les juristes constitutionnalistes et autres experts en droit public.

Le débat sémantique n'est pas inintéressant, mais je m'interroge. Est-ce le rôle du Sénat de débattre de ce qui s'apparente davantage à une querelle juridique sur le verbe « garantir » qu'à une question de fond ? Je n'en suis pas convaincu. Bien évidemment, le sujet est sérieux – essentiel même. Mais, de mon point de vue, il nous faut l'aborder selon un prisme différent.

Quelle est l'utilité des modifications qui nous sont soumises ? Quels sont leurs impacts dans le quotidien de nos concitoyens ? Permettent-elles de rendre plus efficace l'action publique ? C'est précisément sous cet angle que je souhaite aborder cette discussion générale.

En ce qui concerne la forme du texte, était-il nécessaire de modifier l'article 1er de notre Constitution ? Si l'on s'en réfère à la doctrine constitutionnelle, rien n'est moins sûr… Celle-ci indique en effet qu'il n'existe pas de hiérarchie entre les dispositions constitutionnelles. Cette analyse a été confirmée par le Conseil constitutionnel en 2008 et a été rappelée par le Conseil d'État dans son avis rendu sur le présent texte en janvier dernier.

Les principes de préservation de l'environnement et du droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé de chacun sont inscrits dans la Charte de l'environnement, intégrée à notre corpus constitutionnel en 2005. Cinq articles de la Charte ont par ailleurs été légitimés comme invocables en question prioritaire de constitutionnalité et autorisent donc le contrôle de la conformité des lois aux règles qu'ils établissent.

Transcrire ces principes dans un article de la Constitution, fût-ce l'article 1er, ne leur conférera donc pas une valeur supérieure à celle déjà acquise de longue date.

Peut-être faut-il voir dans ce projet de loi constitutionnelle l'aveu d'un échec ? Celui de l'incapacité des gouvernements successifs à prendre des décisions suffisamment ambitieuses pour faire en sorte que ces déclarations de 2005 ne soient pas que des intentions…

Or force est de constater que notre environnement continue sa lente dégradation et que le changement climatique ne semble pas pouvoir être enrayé, malgré les engagements pris dans l'accord de Paris. Aux termes de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, les contributions des États, actualisées au 31 décembre 2020, démontrent que les plans Climat adoptés n'entraîneraient qu'une baisse de 0,5 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Nous sommes très loin des 45 % nécessaires pour maintenir l'augmentation des températures mondiales à 1,5 degré à l'horizon de 2100.

Selon vos propres termes, monsieur le garde des sceaux, rehausser la préservation de notre environnement, renforcée par la sauvegarde de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique au sein de l'article 1er de la Constitution, permettra-t-il de dépasser la relative inaction qui a été la nôtre depuis plus de quinze ans ? À titre personnel, j'en doute.

Peut-être l'analyse du fond des dispositions mises en débat nous donnera-t-elle la réponse ? Si nous voulions être optimistes, peut-être apportera-t-elle la solution ?

Là encore, c'est le débat sémantique qui a pris le pas sur le droit. Il est bien évident que les mots ont un sens, lequel produit des responsabilités, engendre des obligations et fait naître des risques. Mais le cœur du sujet est le suivant : la modification de la Constitution permettra-t-elle réellement de contraindre l'action de notre pays et de ses gouvernants ?

Si tel est bien l'objectif poursuivi, j'aurais tendance à défendre la réintroduction de la rédaction initiale du texte. Elle ouvrirait la voie à un recours accru à la question prioritaire de constitutionnalité ? Tant mieux ! Elle pourrait créer une quasi-obligation de résultat pour l'État ? Tant mieux ! Elle opérerait un glissement vers un verdissement du contentieux ? Tant mieux !

Qu'avons-nous à craindre ? Au mieux, une meilleure efficacité du texte par la pression supplémentaire qu'il imposera à l'action publique. Au pire, un statu quo ; rien de plus qu'une invitation lancée au juge de mieux prendre en considération la préservation de l'environnement, de la diversité biologique et de la lutte contre le dérèglement climatique.

Doit-on en conclure que le texte dont nous allons discuter relèverait davantage du symbole ? Personnellement, je m'en accommode. Le symbole est parfois aussi important que les actes, d'autant plus dans un contexte juridictionnel où, depuis quelques années, les actions en justice au titre de la préservation de l'environnement se multiplient, tandis que le cadre réglementaire, qu'il soit international ou européen, se renforce.

En droit interne, citons les récents arrêts rendus par le Conseil d'État en 2020 en faveur de l'association des Amis de la Terre – France et de la Commune de Grande-Synthe qui, respectivement, condamnent l'État sous astreinte à agir contre la pollution de l'air et à tenir compte des dispositions de l'accord de Paris.

Plus récemment, en février dernier, le tribunal administratif de Paris, dans le contentieux de « l'Affaire du siècle », a établi un lien de causalité entre l'existence d'un préjudice écologique en matière de changement climatique et le non-respect par l'État de ses engagements internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Allons-y franchement ! Et même si je ne suis pas coutumier du fait, je suis cette fois plutôt en accord avec la rédaction proposée par le Gouvernement. La situation est préoccupante ; elle commande d'agir avec force.

La discussion qui va s'engager doit aboutir à un texte exemplaire, d'une puissance symbolique telle qu'elle nous permette d'envisager enfin que toutes nos décisions et toutes nos réformes s'orientent résolument vers la préservation de l'environnement. Et si cette modification constitutionnelle n'a d'intérêt que par le message qu'elle véhicule, elle doit alors être un levier pour les débats qui s'ouvriront dans quelques semaines autour du projet de loi Climat.

Je le dis solennellement au Gouvernement, cette réforme constitutionnelle n'a de sens que si elle se traduit immédiatement dans les actes et nous offre l'opportunité d'un texte ambitieux, déclencheur d'une nouvelle conception de l'intervention publique et annonciateur d'une bascule radicale de nos choix.

L'ajout que nous nous apprêtons à faire au sein de la Constitution ne doit pas être incantatoire. Il doit être un point de départ, où nul retour en arrière ne sera possible. C'est pourquoi je salue et défendrai les amendements de nos collègues souhaitant aller plus loin, qui visent notamment à introduire dans la Constitution le principe de non-régression ou celui de solidarité écologique, un renvoi direct aux prescriptions de la Charte de l'environnement ou encore la référence aux « biens mondiaux » ou à l'adaptation de notre législation aux conséquences du changement climatique.

Reste un dernier point, celui de la faisabilité de cette réforme, dans le contexte très particulier d'une élection présidentielle qui se profile et accapare déjà toute l'attention des médias.

Le Président de la République s'est engagé à soumettre à référendum cette modification constitutionnelle, volonté qui suppose que le texte soit adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées. Au vu de l'amendement défendu par la commission des lois, qui sera soutenu par une partie de mes collègues du groupe du RDSE, le rendez-vous semble compromis.

En outre, l'organisation de ce référendum sera-t-elle tenable avant la fin du quinquennat, face au calendrier électoral qui s'ouvre à nous ? Rien n'est moins sûr et rien ne serait plus déceptif pour nos concitoyens et désespérant pour les membres de la Convention citoyenne pour le climat.

En effet, si cette proposition de la Convention a été reprise quasiment mot pour mot dans le présent projet de loi, nombre d'autres propositions ont purement et simplement été écartées. C'est une maigre consolation au regard du travail accompli, mais ce rendez-vous-là, au moins, ne doit pas être raté.

Je conclurai mon propos en formulant un avertissement. Lorsque l'on affiche sa résolution de placer l'environnement et sa préservation au cœur de son action, l'engagement politique doit se placer au service de la cause et non l'inverse. Quand cet engagement se double d'une ambition, il suscite de l'espoir et rien n'est pire qu'un espoir déçu – l'examen du passé, proche ou lointain, nous le rappelle constamment.

Nous serons prêts à soutenir cette initiative, mais nous demeurerons extrêmement vigilants à sa traduction opérationnelle. Le premier acte sera l'examen du projet de loi Climat et résilience, à l'occasion duquel j'attends que le Gouvernement soit à l'écoute des propositions des sénateurs et traduise l'engagement qu'il nous invite collectivement à prendre : modifier l'article 1er de notre Constitution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.)

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