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Projet de loi et Projet de loi organique programmation 2018-2022 et réforme pour la justice

M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, mon propos sera contrasté, car je souhaite d'abord insister sur la situation très dégradée de la justice en France, puis exposer, dans une perspective plus rassurante, les raisons d'espérer une amélioration.

Il me semble que tous les signes du désastre sont réunis aujourd'hui et que, si nous demeurons aveugles, cela tient soit aux grands efforts déployés par les agents du ministère dans les juridictions et les prisons pour prévenir le risque de déraillement, soit à l'éloignement géographique du milieu carcéral, par essence installé à la marge de notre société et tenu, de ce fait, à l'abri de notre regard.

Tous les acteurs du droit que nous avons rencontrés pour préparer l'examen de ce projet de loi nous ont dit leur lassitude, voire leur épuisement, devant une succession de réformes n'ayant pas permis d'adapter les institutions judiciaires et pénitentiaires au besoin de justice de notre société contemporaine. Nous entendons aujourd'hui la colère des avocats et des magistrats, et nous avons toujours à l'esprit la révolte des agents pénitentiaires de l'an dernier.

À l'inverse, il est rassurant de constater qu'il s'est formé un consensus au Sénat pour conduire les réformes nécessaires à la transformation de nos juridictions et au renforcement du sens de la peine. La grande qualité du rapport de MM. Détraigne et Buffet, ainsi que le travail produit en amont par MM. Buffet et Bigot, nous ont conduits à concentrer nos amendements sur quelques sujets bien ciblés que j'évoquerai plus tard.

Il est également satisfaisant d'observer que le Gouvernement a fait de ce sujet une priorité budgétaire, alors que ce projet de loi de programmation est le premier présenté pour la justice depuis 2002. Madame la garde des sceaux, nous mettons cet effort à votre crédit, et nous vous en remercions.

Au-delà de l'intention positive de réforme, le champ des textes que vous soumettez aujourd'hui à notre examen est très vaste, puisqu'ils balayent le droit civil, le droit et la procédure pénale, ainsi que l'organisation judiciaire... Si les objectifs sont clairs et louables – désengorger les juridictions, réduire la population carcérale, adapter la carte judiciaire –, la philosophie sous-tendant les modifications proposées est, en revanche, parfois moins lisible.

Nous considérons que la plupart des modifications introduites par nos deux rapporteurs permettent de clarifier les logiques retenues et de lever, ici et là, quelques incohérences ou effets paradoxaux.

C'est le cas notamment des modifications introduites dans le volet pénal, qui visent à restaurer le sens des peines prononcées par nos juridictions, en rapprochant les peines exécutées des peines prononcées et en réduisant l'automaticité, qui nuit à l'individualisation des décisions. Mais il ne s'agit là que du point de départ d'une réflexion qui devra être conduite sur le long terme. La marginalisation de la peine d'emprisonnement au sein de l'échelle correctionnelle des peines est également une évolution souhaitable.

La commission des lois de la Haute Assemblée a également joué son rôle de protection des libertés individuelles en encadrant davantage l'extension des possibilités d'utilisation des nouvelles techniques d'enquête, le recours à la vidéoaudience et la dématérialisation des procédures.

Le recours aux nouvelles technologies doit être un outil au service du justiciable, et non pas un obstacle : c'est dans cet esprit que nous avons déposé des amendements visant à garantir l'accès au juge pour les justiciables les plus vulnérables et à rappeler l'importance de la dimension humaine dans l'action de rendre justice. Nous ne sommes pas absolument opposés au développement de services en ligne qui seront peut-être utiles à certains de nos concitoyens, mais il nous paraît plutôt audacieux de miser sur lui pour éteindre leur soif de justice.

Nous pensons également que la crise que traverse l'institution judiciaire et le recul de la collégialité à des fins de régulation contentieuse doivent nous inciter à repenser en profondeur le rôle du juge, en relation avec les autres acteurs qui l'entourent. Le juge unique ne doit pas être un juge solitaire.

Nous sommes donc très favorables au renforcement des cabinets des magistrats – sur le modèle de ce que l'on observe dans certains pays étrangers, par exemple en Italie –, qui viendrait pallier l'affaiblissement de la collégialité. On pourrait ainsi imaginer que, en plus du greffier, un magistrat soit entouré de juristes assistants, et éventuellement d'un conciliateur. La contrepartie évidente à une telle évolution doit être une meilleure valorisation des fonctions des personnels entourant le juge, greffiers comme juristes assistants. Des voies facilitant l'accès aux concours de magistrats judiciaires et administratifs doivent être prévues pour ces derniers. En outre, les propositions de nos rapporteurs visant à instaurer des formes de tutorat entre magistrats expérimentés et auditeurs de justice nous paraissent particulièrement intéressantes.

En ce qui concerne la surpopulation carcérale, notre collègue Nathalie Delattre a déposé deux amendements qui, je l'espère, permettront d'engager un débat sur la place des personnes atteintes de troubles psychiques dans notre système répressif. Les représentants des familles qu'elle a rencontrés lui ont soumis des pistes pour prévenir l'incarcération de ce public aujourd'hui surreprésenté en prison. Près de 30 % des places de prison pourraient être libérées si les personnes nécessitant des soins psychiatriques étaient admises dans des établissements adaptés. Mais ce débat dépasse votre seule compétence, madame la ministre, une révision du parcours de soins de ces personnes étant nécessaire. Le débat mérite cependant d'être ouvert.

Enfin, notre plus grande crainte demeure la désertification géographique de la justice et sa concentration dans les grandes métropoles. Alors que la carte judiciaire devrait évidemment contribuer à un aménagement plus équilibré du territoire, elle se borne aujourd'hui à accélérer le déclin de l'activité dans nos territoires ruraux, déjà très éprouvés par le recul des services publics. Les modifications du texte introduites en commission des lois représentent à ce titre de maigres consolations, qui ne nous satisfont guère.

Ces textes apportent des évolutions souhaitables, et nous les abordons de façon positive. Mais nous gardons également à l'esprit qu'ils resteront lettre morte s'ils ne s'accompagnent pas d'efforts budgétaires importants et soutenus à destination des juridictions et des services pénitentiaires, en particulier pour l'insertion et la probation. Notre groupe attend beaucoup des débats qui vont suivre. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

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