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Projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme agriculteur, je sais la difficulté de vivre de son métier, un métier qui recouvre tous les enjeux actuels de notre planète : l'indépendance alimentaire, le maintien de la biodiversité, la santé publique, les emplois non délocalisables, l'aménagement du territoire.

Je connais aussi l'énorme difficulté que rencontrent nos filières pour s'adapter ; c'est pourtant l'objectif de l'accord trouvé la semaine dernière par les ministres de l'agriculture européens en faveur d'une réforme de la politique agricole commune (PAC) destinée à mieux prendre en compte les défis environnementaux et climatiques.

Certains diront que ce n'est pas assez, d'autres que c'est trop : l'essentiel est de reconnaître que nous nous accordons tous à considérer qu'il nous faut nous orienter vers une agriculture plus durable. La France, précurseur en la matière, avait interdit dès 2004 le fameux Gaucho, tueur d'abeilles, sur les semences de maïs. Les interdictions des néonicotinoïdes sur le tournesol et le colza ont suivi, en 2013 puis en 2016, permettant ainsi à l'Union européenne de nous emboîter le pas.

Nous reconnaissons tous la nocivité de ces produits. Je l'ai dit plusieurs fois dans cette enceinte, nos votes doivent tenir compte d'un équilibre fondamental entre les trois axes qui découlent de l'agriculture : l'économie, l'environnement et la santé. Bien souvent, nous privilégions un axe par rapport à un autre. Là est notre erreur, car tout est question d'équilibre, tout est question de raison.

S'agissant de la méthode, revenir sur une loi est une faute, car cela entraîne, une fois de plus, un déficit de crédibilité : les citoyens ne veulent plus de ces tergiversations. Il manque indéniablement – je l'ai relevé à propos de plusieurs textes – une étude d'impact dans le process de création d'une loi, mais je m'inquiète aussi que nous n'appréhendions pas les conséquences inéluctables de l'introduction de certains amendements.

C'est pourquoi je vous demande de ne pas adopter une posture politique clivée, mais de privilégier une position philosophique et de vous inscrire exclusivement dans l'intérêt général. Notre devoir est de déterminer si notre choix – en l'espèce celui d'une dérogation permettant la réintroduction d'un produit interdit – va déboucher sur une solution pérenne aux problèmes soulevés. Je ne voudrais pas, en particulier, que l'on fasse l'amalgame entre une situation conjoncturelle – une attaque exceptionnelle de pucerons sur les betteraves – et une situation structurelle – la crise de la filière sucrière depuis plusieurs années.

Quel est le contexte ? La production du sucre dans le monde se partage essentiellement entre le sucre de canne, pour 79 %, et le sucre de betterave. La teneur en sucre étant beaucoup plus dense dans la canne que dans la betterave, pour être compétitif, il était nécessaire d'augmenter toujours plus le rendement, lequel a plus que triplé depuis les années 1950. Jusqu'où cette course effrénée ira-t-elle ?

Cela se traduit par un recul important de la part du sucre de betterave dans la production mondiale, alors que le Brésil occupe la place de numéro un des pays producteurs. Ce dernier produit avec la canne à sucre plus d'éthanol que de sucre, mais, avec le covid, risque d'inverser sa stratégie et de produire plus de sucre, ce qui ferait inévitablement chuter les prix et mettrait encore un peu plus en difficulté les filières sucrières européennes.

Les sites sucriers fermaient avant même l'arrivée du puceron. La filière a établi un plan stratégique national un peu tard, en 2019, contenant plusieurs propositions rendant inévitable une transition. En outre, les restructurations en bio restent faibles par rapport aux autres filières.

Parmi les dérogations, l'Allemagne, partenaire essentiel européen, a choisi les néonicotinoïdes par pulvérisation plutôt que par enrobage, ce qui est un moindre mal, parce qu'il s'agit d'un traitement curatif ciblé et non d'un traitement préventif, comme le choix fait par la France.

Un agriculteur vit avec les risques climatiques, sanitaires, ou désormais économiques ; cela fait partie de notre métier. Notre responsabilité commune est de ne pas avoir suffisamment intégré à nos politiques nationales et européennes la gestion des risques, un sujet qui m'est cher. Monsieur le ministre, il faut absolument rouvrir le débat et aboutir à des solutions ; il faut que votre gouvernement soutienne cette filière par des aides conditionnées à la pratique d'une agriculture durable ; il faut enfin profiter du plan de relance pour aider la transition économique de la filière et ainsi l'inscrire dans la pérennité.

En matière d'environnement et de santé, personne ne doute des effets nocifs de ces produits sur les pollinisateurs comme sur le sol via le lessivage, qui va être aussi prégnant dans tous les milieux humides. Devons-nous assumer ces risques ? Devons-nous assumer cette responsabilité ? Nous ne pourrons pas, demain, nous draper dans une posture de lâcheté en prétendant que nous ne savions pas. Non : nous savons !

Mes chers collègues, nous devons soutenir cette filière, mais pas en prenant des décisions qui n'auront aucun effet sur la pérennité de ses entreprises. Nous devons prendre des décisions en conscience et en responsabilité, avec les professionnels qui nous permettent de rester leader en Europe et toujours placés au niveau mondial. Oui, cette filière a besoin d'un nouvel élan, que l'on peut lui apporter dans l'intérêt général.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Henri Cabanel. Il est indispensable, également, de prévoir des mesures dans la réglementation européenne qui interdisent l'importation de denrées agricoles ne respectant pas les règles de production de l'Union européenne.

Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !

M. Henri Cabanel. Ne soyons pas hypocrites, ayons le courage d'aller jusqu'au bout pour pérenniser réellement cette filière ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

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