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Proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l'application des lois

M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans doute n'est-il pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer, comme l'affirmait Guillaume d'Orange, dit le Taciturne.

Le 23 décembre 2010, voilà maintenant plus de dix ans, notre ancien collègue et président du groupe du RDSE, Yvon Collin, déposait avec l'ensemble du groupe une proposition de loi tendant à reconnaître une présomption d'intérêt à agir des membres de l'Assemblée nationale et du Sénat en matière de recours pour excès de pouvoir. Le dispositif qu'il défendait était alors relativement large.

Par un article unique, les membres du Parlement étaient réputés justifier d'une qualité leur donnant intérêt à agir par la voie du recours pour excès de pouvoir contre une mesure réglementaire édictant une disposition relevant du domaine de la loi, contre une mesure réglementaire contraire à une disposition législative ou encore contre le refus du Premier ministre de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d'application d'une disposition législative.

Malheureusement, ce dispositif n'a pas convaincu la majorité de notre hémicycle malgré l'élan de la réforme constitutionnelle du mois de juillet 2008 et la volonté affichée de renforcer les pouvoirs du Parlement.

Depuis lors, le Sénat n'est certes pas resté sans rien faire sur la question de l'application des lois – la richesse de notre débat annuel le montre bien –, mais il faut aussi admettre que cela demeure insuffisant.

En fait, nous faisons à chaque fois le constat que celui qu'Yvon Collin a dressé ici même il y a dix ans, lorsqu'il a présenté sa proposition de loi : « Si le Parlement vote souverainement la loi et exprime ainsi la volonté générale, il advient beaucoup trop souvent que la mise en œuvre de la loi, qui dépend du pouvoir réglementaire, se retrouve paralysée, pour ne pas dire annihilée, par les retards d'édiction des actes réglementaires, que ces retards soient involontaires ou, ce qui est plus grave, délibérés. »

La voie qu'il avait proposé d'ouvrir était-elle la bonne ? Du moins, elle a continué à faire écho au-delà du RDSE, puisque, dans son discours prononcé le 1er octobre 2020 à la suite de sa reconduction à la présidence du Sénat, Gérard Larcher défendit avec conviction la nécessité de « réfléchir à une procédure [...] qui permette au Parlement de saisir le juge administratif, lorsqu'un décret d'application manque à l'appel ».

Notre groupe a alors considéré qu'il était plus qu'opportun de déposer à nouveau une proposition de loi poursuivant et affinant nos travaux antérieurs : les poursuivant, car les enjeux demeurent identiques, les affinant, parce que nous avons pu bénéficier d'un recul suffisant et d'un premier travail législatif éclairant.

Nous sommes donc désormais face à un nouveau texte, plus restreint, juridiquement plus contenu, sans qu'il perde pour autant de sa force politique – au contraire !

Ainsi, cette proposition de loi a pour objet de créer une forme de recours sui generis permettant au Parlement d'exercer un contrôle effectif et juridictionnel de l'action gouvernementale, ce qui, dois-je le rappeler, est l'une de ses missions constitutionnelles, puisque l'article 24 de la Constitution est explicite : le Parlement « contrôle l'action du Gouvernement ».

Ce recours sui generis pourrait être engagé dans trois cas distincts : d'abord, contre la carence du pouvoir réglementaire à prendre une mesure d'application de la loi dans un délai raisonnable, ensuite, contre une ordonnance prise en violation du champ de l'habilitation législative, enfin, contre un acte réglementaire autorisant la ratification ou l'approbation d'un traité, lorsque cette autorisation aurait dû relever de la compétence du législateur. Trois cas, donc, dans lesquels le droit en vigueur, au travers notamment de la jurisprudence du Conseil d'État, ne permet pas à un parlementaire, au président d'un groupe politique ou au président d'une commission permanente d'exercer un recours juridictionnel en cette seule qualité.

Les occasions n'ont pourtant pas manqué à nos juridictions de consacrer une telle possibilité, mais il a toujours été objecté que le recours pour excès n'avait pas pour finalité la continuation du débat parlementaire par d'autres moyens. Son objet serait restreint à l'examen d'un acte litigieux afin d'en vérifier la légalité.

C'est pourtant bien de cela qu'il est question ! Qui, plus qu'un parlementaire, est intéressé par le respect du domaine de la loi par un acte administratif réglementaire ?

Jamais le juge administratif, pourtant habituellement si prompt à façonner et à élargir son droit processuel, n'a admis un tel principe. Quelle étrangeté !

Alors que nous votons la loi, expression de la volonté générale, alors que nous cherchons par elle à déterminer les règles applicables dans notre République, alors que ces lois sont soumises au respect de nos principes fondamentaux, notamment via le Conseil constitutionnel, malgré cela, la représentation nationale n'est pas armée juridiquement pour assurer l'application de la loi et imposer au Gouvernement d'exécuter la volonté générale.

Voici pourtant plus de deux siècles que le parlementarisme s'est installé dans notre Nation. Depuis Rousseau, Locke et Montesquieu, notre société vit avec l'idée qu'il revient au Parlement d'écrire la loi et au Gouvernement de l'exécuter.

La Constitution de 1791 – la première à être issue de la Révolution de 1789 – était, en ce sens, plus explicite et formelle que la nôtre : « Le pouvoir exécutif est chargé de faire sceller les lois du sceau de l'État et de les faire promulguer. Il est chargé également de faire promulguer et exécuter les actes du Corps législatif... »

Voilà sa mission première, sa mission originelle, celle qui était là bien avant qu'il soit question pour le Gouvernement d'exécuter son programme.

En effet, à force de rationalisation et de recherche d'efficacité, cette idée de nos institutions est devenue une tradition dénaturée, indifférente au fait d'agir par une loi ou un règlement selon le domaine concerné, pourvu que l'on y retrouve un programme gouvernemental d'où proviendrait la volonté générale.

Nous croyons nécessaire, au contraire, de redonner au Parlement des moyens concrets et effectifs afin d'assurer ses prérogatives constitutionnelles, à commencer par sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement.

Comme nous l'avons souligné dans l'exposé des motifs de cette proposition de loi, débattre chaque année de l'application des lois devant un hémicycle trop souvent clairsemé n'est pas suffisant pour garantir un véritable droit de suivi par le Parlement des lois qu'il vote.

Le contrôle de l'application des lois n'est pas une affaire politique : il relève de notre idée de l'État de droit et de la façon dont nous concevons l'essence même de nos institutions.

Vous conviendrez donc que l'introduction d'un nouveau droit de recours ouvert aux parlementaires n'a rien d'atypique. Bien au contraire, cela s'inscrit dans le sens de notre régime républicain, en permettant de rappeler au pouvoir exécutif le sens de sa fonction dans l'État, lorsque celui-ci empiète sur le pouvoir législatif ou néglige sa compétence.

Il reste cependant au moins un sujet dont nous devons débattre : celui des titulaires de ce recours pour excès de pouvoir. Notre proposition de loi initiale était maximaliste de ce point de vue.

M. Jean-Pierre Sueur. Elle était excellente !

M. Jean-Claude Requier. L'outil de contrôle était donné à tous les membres de l'Assemblée nationale et du Sénat à titre individuel.

Les travaux de la commission des lois, particulièrement ceux de sa rapporteure Maryse Carrère – je salue la très grande qualité de son travail –, sont venus restreindre le dispositif aux présidents des commissions permanentes.

M. Jean-Pierre Sueur. Hélas !

M. Jean-Claude Requier. Monsieur Sueur, nous examinerons les amendements un peu plus tard…

Notre première intention était de ne pas opérer de distinction entre chacun des membres du Parlement et, ainsi, de ne fermer la voie à personne.

Toutefois, j'entends les difficultés que cela pourrait poser, notamment le risque d'un engorgement de nos juridictions qui pourraient voir quelques députés ou sénateurs sourcilleux et trop zélés abuser de ce recours. (Sourires.)

Comme Platon, je veux bien faire preuve d'un peu de tempérance et discipliner – dans cet hémicycle du moins ! – mes désirs et mes passions ! (Nouveaux sourires.)

Pourquoi ne pas limiter le droit de recours à certains membres des assemblées ? Il reste néanmoins à trouver la mesure de cette limite. Faut-il réduire cette possibilité aux présidents des commissions permanentes ou l'étendre jusqu'aux présidents de groupe ?

Mme Nathalie Goulet. Il faut aller jusqu'aux présidents de groupe !

M. Jean-Claude Requier. Il y a là un véritable débat, que nos échanges permettront d'éclairer.

Quoi qu'il en soit, j'ai l'espoir que cette proposition de loi soit adoptée par notre assemblée et, le cas échéant, que la navette parlementaire aboutisse. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

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