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Proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l'application des lois

Mme Maryse Carrère, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous ici connu la satisfaction de voir adopté un amendement auquel nous tenions particulièrement. Dans le même temps, combien d'entre nous se sont désespérés d'attendre la publication des règlements d'application nécessaires à son entrée en vigueur ?

C'est notamment contre cette situation frustrante que la proposition de loi déposée par Jean-Claude Requier tend à lutter.

Si, en vertu de l'article 24 de la Constitution, le Parlement « contrôle l'action du Gouvernement », aucun mécanisme ad hoc de nature constitutionnelle ou législative ne lui permet d'obtenir du Gouvernement la publication d'instruments d'application manquants. En effet, aucune règle ne fixe le délai maximum dont dispose le Gouvernement pour prendre ces décrets.

Face à cette absence de mécanisme institutionnel, le Sénat a choisi d'offrir un traitement politique à la question de l'application des lois, en publiant depuis 1972 un bilan annuel, ainsi que certains bilans exceptionnels, et en organisant des débats en séance publique dédiés à cette question, débats auxquels vous participez, monsieur le ministre.

Il faut le reconnaître, les bilans d'application récents témoignent de taux d'application globalement satisfaisants, qui s'expliquent notamment par un réel travail de suivi de la part du Secrétariat général du Gouvernement, ce qu'il convient de saluer.

Aujourd'hui, il ne nous est pas possible d'affirmer que le Gouvernement utilise le veto implicite qui lui est offert par la Constitution, puisqu'il s'efforce, au contraire, de veiller à la publication des décrets d'application dans le délai indicatif de six mois qu'il s'est fixé par circulaire.

Toutefois, malgré ces efforts, certains règlements manquent à l'appel et les parlementaires se trouvent désarmés pour réclamer leur publication. L'absence de mécanisme institutionnel permettant au Parlement d'obtenir la publication d'instruments d'application manquants est d'autant plus frustrante que le juge administratif a reconnu cette faculté aux justiciables sous certaines conditions.

Ainsi, le Conseil d'État considère, depuis 1964 et sa décision Dame Veuve Renard, que l'absence de publication d'instruments d'application dans un délai raisonnable constitue la méconnaissance d'une obligation permettant d'engager la responsabilité de l'État.

Le Conseil d'État a également jugé illégal le refus du Premier ministre de prendre un décret d'application nécessaire à l'entrée en vigueur d'une loi.

Alors que ce recours se montre efficace, le juge administratif s'est toujours montré frileux à l'ouvrir aux parlementaires, considérant qu'ils ne disposaient pas d'un intérêt à agir suffisant. Dans certains cas, il a contourné le problème, en se fondant sur une autre qualité du requérant-parlementaire pour ouvrir le recours. Dans d'autres cas, il a évité le problème, en rejetant la requête au fond sans se prononcer sur sa recevabilité.

En 2011, à l'occasion d'une saisine de notre collègue Jean Louis Masson, le Conseil d'État a abandonné cette stratégie, en indiquant clairement son refus de reconnaître à un parlementaire un intérêt à agir en cette seule qualité.

Cette jurisprudence regrettable pour nos assemblées a été dénoncée par le président du Sénat, Gérard Larcher, qui a récemment défendu la nécessité de « réfléchir à une procédure [...] qui permette au Parlement de saisir le juge administratif, lorsqu'un décret d'application manque à l'appel ».

La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise tend précisément à répondre à cet objectif et reprend la rédaction proposée par Jean-René Lecerf, rapporteur au nom de la commission des lois d'une précédente proposition de loi ayant le même objet, émanant également du groupe RDSE et examinée au début de l'année 2011.

Ainsi, son article unique tend à modifier l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires afin de créer une présomption irréfragable d'intérêt à agir au bénéfice des membres de l'Assemblée nationale et du Sénat pour introduire un recours pour excès de pouvoir contre les actes ayant principalement fait l'objet de recours dans les affaires introduites par des parlementaires devant le juge administratif.

Le premier cas vise le refus du Premier ministre de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d'application d'une disposition législative.

Cette proposition de loi tend également à reconnaître aux parlementaires un intérêt à agir pour introduire un recours pour excès de pouvoir contre une ordonnance prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, qui méconnaîtrait le champ d'habilitation fixé par le législateur.

Enfin, la proposition de loi tend à reconnaître un tel intérêt à agir pour contester « un acte réglementaire autorisant la ratification ou l'approbation d'un traité, lorsque le moyen unique soulevé est tiré de ce que cette autorisation aurait dû être accordée par la loi en vertu de l'article 53 de la Constitution ».

La première préoccupation de la commission des lois a été de vérifier la constitutionnalité du dispositif proposé. En ce sens, les travaux que j'ai conduits ont été rassurants.

En ce qui concerne une éventuelle violation du principe de séparation des pouvoirs, rappelons-nous que certains mécanismes de contrôle de l'action du Gouvernement sont prévus par la loi ordinaire, sans base constitutionnelle.

Il convient également de constater que cette proposition de loi ne crée pas de nouveaux recours, mais aménage un recours existant, déjà largement ouvert par le juge.

Certaines dispositions existantes créent d'ailleurs des présomptions légales d'intérêt à agir en faveur des membres du Gouvernement.

En outre, le recours pour excès de pouvoir est, en lui-même, un instrument de régulation des relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, puisqu'il permet d'apprécier la légalité des règlements et de faire concrètement respecter la hiérarchie des normes.

Par ailleurs, je souhaite rappeler que certaines lois ou décisions juridictionnelles ont incidemment modifié les relations entre le juge administratif et les pouvoirs exécutif ou législatif sans que la constitutionnalité de ces dispositifs ait été remise en cause. L'exemple le plus marquant est la loi du 8 février 1995, qui offre un droit d'injonction au juge administratif à l'encontre du pouvoir réglementaire.

Aussi, la commission des lois a adopté le dispositif proposé après avoir l'avoir modifié en trois points.

La modification la plus importante a limité le champ de l'intérêt à agir aux seuls présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu'aux présidents de leurs commissions permanentes.

Il convient, en effet, de privilégier en la matière un droit d'agir « institutionnel », permettant au Sénat, en tant qu'institution, de faire assurer le respect de la volonté du législateur par le pouvoir réglementaire. L'ouverture d'un intérêt à agir limité à ces organes est, de surcroît, cohérente avec le règlement du Sénat, qui confie aux commissions permanentes le suivi de l'application des lois.

La deuxième modification tend à permettre un recours contre tout refus de prendre une mesure réglementaire d'application, et non plus contre les seuls refus du Premier ministre. Cette précision permettra notamment les recours contre les refus de prendre des arrêtés ministériels.

Enfin, nous avons choisi d'ouvrir les recours contre une ordonnance dès lors qu'un des moyens soulevés porte sur le non-respect du champ de l'habilitation donnée par le Parlement, et non plus seulement lorsqu'il s'agit de l'unique moyen soulevé. Élargir le champ des moyens pouvant motiver la saisine réduira les cas dans lesquels le recours ultérieur d'une tierce personne sera nécessaire pour purger une ordonnance de l'ensemble de ses griefs.

La commission des lois vous propose donc d'examiner un texte enrichi par ses apports. Son adoption pourra réellement faire bouger les choses en matière d'application des lois. Aussi, je vous invite à l'adopter le plus largement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et SER.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

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