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Proposition de résolution tendant à l'engagement résolu de la France en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international visant à mettre un terme à l'offensive militaire menée par la Turquie au Nord-est de la Syrie

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

 

M. Jean-Noël Guérini. Chaos, impuissance et colère : monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis le 9 octobre, nous convoquons sans cesse ces trois mots pour commenter l'offensive turque en Syrie – je dis bien « commenter », hélas. Ce verbe, monsieur le secrétaire d'État, je le prononce avec regret. Mais est-il possible, aujourd'hui, d'en employer un autre, alors que la France et l'Union européenne en sont réduites au rôle de spectateurs passifs d'un nouveau drame dans un territoire ensanglanté par la guerre civile depuis 2011 ?

L'intervention de l'armée turque dans le nord-est de la Syrie, facilitée par le feu vert du président des États-Unis, permet à Vladimir Poutine d'apparaître désormais comme le maître du jeu dans un conflit ô combien complexe, dont chacun mesure les effets dévastateurs.

Sur le plan humanitaire, tout d'abord : une fois de plus, nous voyons des populations civiles ballotées, déplacées, menacées. La progression rapide des forces turques aurait déjà conduit au déplacement de 130 000 personnes, et je préfère ne pas compter le nombre des morts…

Il ne s'agit que d'un bilan provisoire, compte tenu de l'implication, aux côtés des forces loyalistes, de milices supplétives animées par une soif sanguinaire de vengeance.

Nous gardons tous à l'esprit les massacres de civils, de Yézidis ou de membres de tribus sunnites hostiles à Daech notamment, le commerce des femmes, les pillages, les déplacements forcés de populations, et autres violences commises au nom d'un obscurantisme mortifère que Daech a porté à son paroxysme.

En nommant cette organisation, qui mène contre l'Occident et ses valeurs une guerre sans merci, aveugle et sauvage, j'aborde un deuxième effet de l'inconséquence de Trump et d'Erdogan.

Certes, ce dernier s'est dit « prêt à écraser les têtes des terroristes », mais sa déclaration, mes chers collègues, vise principalement les Kurdes, nos alliés, avec lesquels nous avons gagné une bataille contre l'État islamique...

Quoi de plus logique ? Comme vous le savez, mes chers collègues, le traité de Lausanne de 1923 et la naissance de la Turquie moderne kémaliste ont enterré la promesse d'un Kurdistan autonome.

En visant l'administration autonome installée dans le nord-est de la Syrie, qu'il considère comme une base arrière du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, le président turc, fragilisé par la situation économique de son pays et par les résultats des récentes élections municipales, a choisi la fuite en avant.

Or nous avons un devoir moral envers nos frères d'armes kurdes. Les combattants et les combattantes des forces démocratiques syriennes ont permis, avec les forces de la coalition internationale, de détruire la tentative d'organisation territoriale des fanatiques islamistes de Daech.

Cette calamiteuse opération turque soulève également des enjeux sécuritaires ; ses effets sont substantiels pour le Proche-Orient et le Moyen-Orient, mais aussi du point de vue de nos propres intérêts.

Le Premier ministre l'a rappelé ici même, mercredi dernier, en évoquant clairement le risque d'une résurgence des effectifs et des forces de Daech. Nous savons que dans cette zone se trouvent 10 000 djihadistes et près de 2 000 prisonniers contrôlés par les forces démocratiques syriennes. Nous avons laissé dans la région de bien encombrants détenus djihadistes français que nous souhaiterions voir juger en Irak. Telle est la position de la France, monsieur le secrétaire d'État, et le RDSE la partage. Il nous faut des garanties, d'une part, quant à la capacité de l'Irak à juger sur place les crimes commis par les détenus français, et, d'autre part, sur les conditions de leur confinement, afin d'éviter leur évasion, rendue possible dans le contexte actuel.

Il semblerait que des familles de djihadistes aient pu s'échapper, notamment du camp d'Ayn Issa. Combien de combattants ont, à ce jour, pu profiter du désordre créé par l'offensive turque ?

J'évoquerai par ailleurs le sort des 3,5 millions de réfugiés. Cet enjeu ne concerne pas seulement la Turquie : le président Erdogan nous le rappelle assez souvent, menaçant de nourrir davantage la crise migratoire européenne s'il n'obtenait pas plus de soutien sur ce volet. L'aide financière apportée par l'Union européenne ne semble pas suffire à calmer Ankara, qui voit dans son opération en Syrie le moyen de relocaliser ces réfugiés.

Dois-je ici revenir sur les palinodies d'une Union européenne qui, une fois de plus, n'est pas parvenue à un accord sur la suspension des contrats d'armement avec la Turquie ? Une telle mesure serait pourtant, à ce stade, ô combien symbolique !

Quant aux sanctions économiques, évoquées par certains, elles affecteraient en premier lieu l'Allemagne et la France.

Je me répète donc, mes chers collègues : chaos, impuissance, colère. Cela dit, devons-nous baisser les bras, nous lamenter et laisser la fragmentation, les menaces et la brutalité l'emporter sur la diplomatie et la raison ? Évidemment non !

La coalition anti-État islamique a bien fonctionné sur le plan militaire ; nous pouvons nous en féliciter, mais les efforts diplomatiques du Conseil de sécurité de l'ONU et de l'Union européenne, quoique convergents, ne parviennent pas à stabiliser clairement la région. Nous avons très certainement péché de n'avoir pas porté avec suffisamment de courage et d'audace les propositions politiques indispensables à la sortie des conflits.

À l'évidence, jusqu'aux élections de novembre 2020, les Américains se retireront des zones d'intervention pour mieux se recroqueviller sur leurs problèmes intérieurs.

Nous sommes nombreux, ici au Sénat, à avoir régulièrement rappelé, au cours de nos débats, que Bachar el-Assad…

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Noël Guérini. … resterait, hélas, la solution au conflit dont son pays est le théâtre, même si – je l'accorde – notre attachement au respect des droits de l'homme nous impose des contraintes bien légitimes.

Aux maux de l'asservissement et de la tyrannie, opposons démocratie, courage, responsabilité et, malgré tout, espoir.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe RDSE partage les préoccupations ayant inspiré cette proposition de résolution ; nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

 

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